Le budget de l'Union européenne, deux fois le chiffre d’affaires d’EDF ou trois fois celui de Renault ! Le crime organisé et la corruption en Europe pèsent 120 milliards d’euros par an, soit 1% du PIB européen, estime l’Organisation non gouvernementale Transparency international. Le climat de morosité économique est de bon augure pour la prospérité de ce fléau international qui affaiblit les Etats et porte atteinte aux valeurs sociales de nos sociétés démocratiques.
Les trafics de stupéfiants, d’armes, d’êtres humains, d’organes ou d’espèces protégées s’accompagnent de la corruption des fonctionnaires, de pratiques d’intimidation et de chantage auprès des élus locaux. L’actualité récente, avec la multiplication des règlements de comptes à la kalachnikov à Marseille, la révocation du commissaire lyonnais Neyret jugé trop proche du « milieu », et la fraude fiscale (estimée à 2 milliards d’euros) organisée sur les quotas de CO2 témoignent d’une économie souterraine organisée, enracinée et tentaculaire.
L’économie illicite se nourrit de la faiblesse de l’économie licite en apportant des ressources financières aux populations appauvries par le chômage, des avantages à des agents publics peu scrupuleux, des liquidités aux entreprises en difficultés. Le recyclage de l’argent sale permet d’étendre le pouvoir de l’économie illicite tant matériellement que territorialement.
Face à la prospérité du crime organisé, la protection de l’économie licite passe nécessairement par une réponse européenne et une harmonisation des politiques pénales des États membres. La réponse européenne doit s’inscrire à la fois dans une perspective transnationale, européenne et locale, et s’appuyer sur des collectivités publiques fortes et revalorisées.
Pour protéger les contribuables, l'ordre public, la santé publique et la cohésion sociale, la Commission européenne vient d’élaborer un Paquet législatif comprenant une proposition de directive sur le gel et la confiscation des produits du crime dans l’Union européenne ainsi que deux communications relatives à la lutte contre la corruption et à la fraude au sein des 27.
Il s’agit pour les Etats membres d’instaurer une confiscation élargie des biens financés par l’argent du crime organisé. Elargie car, d’une part, elle sanctionnerait des disproportions injustifiées entre revenus légaux et patrimoine réel, d’autre part elle porterait sur un montant supérieur au produit direct de l’infraction, enfin, elle déjouerait les dissimulations de biens par l’intermédiaire de tiers ou de société écran.
L’Avis du Comité des Régions et de villes de l’Union Européenne (CDR) qui sera présenté en Assemblée plénière le mois d’octobre prochain propose d’accompagner la sanction par confiscation d’une réparation au profit de l’État et des collectivités publiques vertueuses. Il s’agit d’attribuer aux régions et aux communes vertueuses une partie des saisies des avoirs du crime organisé car, d’une part, elles sont les mieux placées pour mener des actions locales afin d’éradiquer les causes profondes de la criminalité et d’autre part, elles sont les premières victimes des organisations criminelles qui déstabilisent l’ordre social des territoires.
En particulier, cet Avis plaidera pour une extension du modèle italien de répartition du produit des saisies des avoirs du crime organisé. Ainsi un tiers des 12 000 immeubles saisis a été attribué ou revendu au profit des collectivités locales italiennes afin de mener des actions sociales, éducatives et de prévention de la délinquance.
L’objectif est de donner une visibilité positive à l’action des pouvoirs publics, de réconcilier et de conforter une société vertueuse qui unisse les élus, la société civile et les familles. Les grosses cylindrées des petits caïds de quartier qui inversent l’échelle de valeur des jeunes doivent être saisies, revendues et le produit de leur vente réemployé en aides sociales aux familles (bourse d’étude, de secours...).
Cette lutte contre le crime organisé ne pourra être efficace que si nos concitoyens retrouvent confiance dans leurs élus. C’est pourquoi le CDR propose que les élus responsables de collectivités locales se plient à une déclaration de patrimoine en début et fin de mandat auprès d’une autorité publique indépendante, concernant leurs propriétés et leurs liens commerciaux ou d’affaires, et qu’ils adhèrent à une charte de bonne conduite.
Cette charte européenne de déontologie intitulée «Obli privatum, publica curate» («Oubliez les affaires privées, occupez-vous des affaires publiques»), fixerait les règles concrètes d’impartialité (interdiction des situation de conflits d’intérêts, refus des invitations pour un séjour privé qui émanerait d’une personne physique ou morale dont l’activité est en relation avec leur collectivité, remise aux Domaines des cadeaux d’une valeur supérieur à 150 euros, pas d’intervention pour des membres de la famille...) et d’intégrité (non utilisation des moyens des collectivités à des fins de campagnes électorales, respect des règles de la commande publique...).
La réhabilitation et l’action des collectivités locales doivent s’inscrire dans une politique européenne efficace. Une arme de grande portée contre la criminalité organisée est la création d’un parquet européen prévue dans le Traité de Lisbonne à l’article 86 TFU nécessitant une collaboration et une harmonisation des procédures pénales d’investigation et d’enquête des 27 Etats membres et de leurs moyens de répression en vue de lutter plus efficacement et plus sûrement contre la corruption et l’implication criminelles transfrontières d’acteurs économiques et politiques influents.
Face à l’adaptabilité du crime organisé, l’Europe, les États membres doivent s’appuyer sur les 100 000 collectivités locales qui en constituent l’ossature citoyenne pour que la traque judiciaire s’accompagne d’une éradication des causes de son infiltration. L’enjeu est de préserver notre modèle social, de préserver la démocratie et de se préserver du spectre de l’économie souterraine mexicaine tombée dans la spirale de la barbarie organisée et responsable de la mort de 120 000 personnes depuis 5 ans.
[...]